skip to Main Content
Our Family Lawyers Team
Quand Le Locateur Poursuit Le Locataire Pour Loyers Impayés Depuis La Pandémie Liée à La COVID-19…

Quand le locateur poursuit le locataire pour loyers impayés depuis la pandémie liée à la COVID-19…

Auteurs: Daniel Romano    Catherine Ou

La COVID-19 fait des ravages auprès de plusieurs petites entreprises, notamment dans le domaine de la restauration. Certains restaurants ont de la difficulté à payer leur loyer tandis que les propriétaires des lieux loués doivent néanmoins continuer à payer les dépenses afférentes à l’immeuble. En avril 2020, le gouvernement du Canada a mis en place un programme d’aide d’urgence pour le loyer commercial (le programme AUCLC), dont le but est de réduire de 75 % le loyer des petites entreprises canadiennes les plus touchées par la pandémie de COVID-19. L’adhésion à ce programme exige la collaboration du locateur.

La Cour du Québec et la Cour supérieure du Québec ont récemment rendu plusieurs jugements sur des demandes d’ordonnance de sauvegarde portant sur la réclamation des loyers du baux commerciaux (Voir Investissement immobiliers G. Lazzara inc. c. 9224-5455 Québec2020 QCCS 2176 9215-3956 Québec inc. c. 9378-9949 Québec inc.2020 QCCQ 2537 ; Investissements Complexe 2020 ltée c. Madame Bovary inc., 2020 QCCS 2500 etc.).

Cet article vise à analyser la question suivante: dans quelle situation le locateur a-t-il droit à une ordonnance de sauvegarde en fonction des critères élaborés par la jurisprudence ?

Il est important de noter que les faits suivants sont créés par l’auteur afin d’établir un contexte pour l’analyse.

Faits pertinents

En 2018, le locataire et le locateur ont signé un bail commercial pour une durée de 5 ans débutant le 1er août 2018 et se terminant le 31 juillet 2023. La Clause « Force majeure » du bail se lit comme suit:

« Sauf en ce qui concerne les obligations d’ordre pécuniaire du locataire, ni le locateur ni le locataire ne sera tenu responsable de l’inexécution de l’une quelconque de ses obligations aux termes des présentes, ni des dommages ou pertes subis par l’autre partie si l’inexécution, les dommages ou les pertes résultent d’un cas de force majeure, d’actes d’ennemis du Canada, de guerre, de désastre, d’émeute, de grève, de lockout, d’un cas fortuit ou autre événement similaire, ou de tout autre état d’urgence ou cause qui peut raisonnablement être considéré hors du contrôle de l’une ou l’autre des parties.» (soulignements ajoutés)

Le locataire opère un restaurant au centre-ville de Montréal.

Dès les premiers mois du bail, le locataire paie régulièrement le loyer.

Le 13 mars 2020, le ministre de la Santé et des Services sociaux a décrété l’état d’urgence dans la province de Québec en vertu de l’article 118 de la Loi sur la santé publique, en raison de la pandémie liée à la Covid-19 qui sévissait et qui sévit toujours dans la province.

Le 15 mars 2020, le locataire a dû cesser ses activités commerciales au restaurant en raison de l’arrêté ministériel 2020-004 émis par la ministre de la Santé et des Services sociaux.

Le 16 mars 2020, au vu de la situation, le locataire a avisé le locateur qu’il devait suspendre le paiement de son loyer jusqu’à ce que le gouvernement lui permette de reprendre ses activités commerciales.

En avril 2020, le gouvernement fédéral a annoncé la mise en place du programme AUCLC, dont l’accès au portail a été ouvert le 25 mai 2020. Ce programme offre une aide d’urgence aux propriétaires tels que le locataire dans le présent cas pour réduire d’au moins 75 % le loyer qu’ils ont à payer. Plus spécifiquement, le gouvernement paie jusqu’à 50 % des loyers mensuels bruts à payer par les locataires et le locateur doit payer au moins 25 % du total à moins d’entente plus favorable au locataire convenue entre le locataire et le locateur. Pour être admissible à l’AUCLC, le locateur et le locataire doivent conclure une entente de réduction de loyer juridiquement contraignante pour la période concernée diminuant d’au moins 75 % le loyer de la petite entreprise locataire touchée, incluant un moratoire sur les évictions pour cette période, en plus de produire des attestations signées par eux.

En mai 2020, le locateur n’a pas informé le locataire de l’existence du programme AUCLC. Mais le locataire a désiré participer à ce programme. Le locateur n’a pas consenti à réduire le loyer selon les exigences du programme.

Ce différend entre le locateur et le locataire a compromis leur participation au programme AUCLC.

En juin 2020, le locateur a envoyé une mise en demeure au locataire. Et puis, le Locateur change la serrure de la porte. Par conséquent, le locataire n’avait plus accès à son propre restaurant.

En octobre 2020, le locateur poursuit le locataire pour les loyers impayés depuis le 1er avril 2020 ainsi que pour les honoraires d’avocats et intérêts. Dans sa demande introduite, le locateur sollicite une ordonnance de sauvegarde pour forcer le locataire à lui payer la totalité des arrérages de loyers avec intérêts depuis le 1er avril 2020 ainsi que le loyer mensuel à compter du 1er octobre 2020. La demande d’ordonnance de sauvegarde requiert qu’à défaut d’effectuer ces paiements, le locataire soit déclaré forclos de plaider.

Dans une déclaration assermentée du Locataire, le représentant du Locataire reconnaît qu’il n’a pas payé les loyers antérieurs à la période de la crise sanitaire. Cependant, il plaide qu’il ne doit aucun loyer au Locateur étant donné qu’il a dû cesser d’exploiter son restaurant pendant cette période selon la clause force majeure.

La question en litige

Dans quelle situation le locateur a-t-il droit à une ordonnance de sauvegarde en fonction des critères élaborés par la jurisprudence ?

L’analyse

L’ordonnance de sauvegarde est une mesure judiciaire largement discrétionnaire, qui vise à protéger les droits des parties pendant l’instance, rétablir un certain équilibre entre elles et maintenir leur intérêt à résoudre rapidement leur litige (paragr. 7, 176283 Canada inc. c. St-Germain2010 QCCA 1957 ; paragr. 19, 9369-4941 Québec inc. c. 9352-7117 Québec inc., 2020 QCCQ 3184).

L’ordonnance de sauvegarde doit répondre à quatre critères (apparence de droit, préjudice grave ou irréparable, balance des inconvénients et urgence).

  1. L’apparence de droit et le sérieux des moyens de défense

Le locateur doit démontrer qu’à la seule vue des éléments de preuve qu’elle présente et des faits qu’elle allègue, elle a droit au remède recherché. La Cour va aussi considérer le sérieux des motifs de défense.

En l’espèce, le locataire reconnaît dans sa déclaration assermentée qu’il n’a pas payé les loyers antérieurs à la période de la crise sanitaire. Il s’agit d’un aveu judiciaire (Art. 2850 C.c.Q.). En outre, dans sa déclaration assermentée, le locataire a aussi mentionné qu’il ne peut pas continuer ses activités commerciales dans son restaurant parce que le locateur a changé la serrure de sa porte depuis juin 2020.

En principe, l’ordonnance de sauvegarde ne vise que les loyers à échoir. Plusieurs décisions ont toutefois également ordonné le dépôt judiciaire du loyer échu au moment de l’institution des procédures (paragr. 45, 9215-3956 Québec inc. c. 9378-9949 Québec inc.2020 QCCQ 2537 ; Placements Rythme Inc. c. 2969-3348 Québec Inc., 2005 CanLII 17112 (QC CQ)). Par contre, en l’espèce, le droit du locateur apparait douteux dans la mesure où le Locataire soulève notamment le caractère abusif de certaines dispositions du bail ainsi que de l’exercice de leurs droits par le Locateur. Par exemple, le Bail donne le droit au locateur de changer la serrure et de prendre possession des lieux sans aucune forme de procédure judiciaire contre le locataire après lui avoir envoyé son avis de résiliation du Bail. Par exemple, le locateur ne répond pas non plus aux prétentions du locataire voulant qu’il puisse mitiger son préjudice allégué en adhérant au programme d’aide du gouvernement du Canada.

Nul doute que le juge du fond aura plusieurs questions sérieuses à juger et que les moyens de défense sont sérieux. Le locateur n’a pas réussi à démontrer qu’il a une apparence de droit en l’espèce.

  1. L’existence d’un préjudice grave ou irréparable

Le locateur doit démontrer que le préjudice est grave ou irréparable (paragr. 31, Groupe CRH Canada inc. c. Beauregard2018 QCCA 1063).

En l’espèce, le préjudice grave découle du fait que le Locataire ne paie pas le loyer auquel il est tenu par les termes du bail tandis que le Locateur doit néanmoins continuer à payer les dépenses afférentes à l’immeuble.

  1. La balance des inconvénients

En l’espèce, le Locateur change la serrure de la porte. En conséquence, le Locataire n’a pas accès à son propre restaurant depuis juin 2020 et se voit contraint de cesser ses activités commerciales. Cela constitue un obstacle à l’atténuation des préjudices pour les deux parties.

  1. L’urgence

En l’espèce, le locateur n’a institué son recours que quelques six mois après le premier défaut de paiement de loyer, démontrant par le fait même l’absence d’urgence.

Pour ces motifs, le tribunal pourrait considérer rejeter la demande d’ordonnance de sauvegarde.

Bon à savoir …

Le 2 novembre 2020, le gouvernement fédéral a présenté le projet de loi C-9, Loi modifiant la loi de l’impôt sur le revenu qui fournirait aux certaines locataires qui ont durement touchées par un confinement une aide au loyer pouvant atteindre 90 %. Les locataires peuvent adhérer à ce programme sans approbation du locateur.

(Attention! Le but de cet article est de fournir des informations juridiques générales. Il ne reflète pas l’état du droit de façon exhaustive et ne constitue pas un avis juridique sur les points de droit discutés. Afin de minimiser les risques juridiques pour vos affaires, vous devez demander l’avis juridique d’un(e) avocat(e) sur toute question particulière qui vous concerne. Merci pour votre attention.)

Back To Top